dimanche 2 novembre 2014

Tahiti: l'épidémie de chikungunya s'installe

C'était pratiquement inévitable: et maintenant, ça y est, c'est fait:  le fameux virus du chikungunya, qui avait fait la triste une des médias en 2005-2006 pour avoir contaminé et traumatisé la Réunion, est désormais bien installé à Tahiti, et en passe de l'être dans les autres îles de Polynésie française.

A la Réunion,  il avait touché environ 40% de la population, en mettant à terre toute l'économie et en laissant de biens mauvais souvenirs dans la population, car plus d'un an après avoir contracté le virus, certains malades avaient toujours de douloureux problèmes aux articulations.

Transmis par les moustiques aedes aegypti et plus efficacement encore par aedes albopictus (ci-contre), tous deux présents en Polynésie, avec par ailleurs leur compère aedes polynesiensis qui lui, transmet la filariose, ces deux variétés de moustiques vont s'en donner à coeur joie au fenua à l'approche de la saison des pluies (novembre 2014-mars 2015)

Deux jours après avoir piqué une personne contaminée, le moustique (femelle) peut transmettre la maladie à tous ceux qu'il piquera ensuite, et le virus sera même présent dans les oeufs et les larves qu'il pondera...



Le chikungunya en Nouvelle Calédonie l'an passé

Une épidémie de chikungunya (qui signifie homme courbé en Swahili) avait commencé à frapper la Nouvelle Calédonie l'année dernière, mais elle s'est heureusement peu développée, s'est arrêtée, et tout s'est finalement bien passé pour eux.

La raison ? Il semble qu'ils n'avaient pas là bas le bon vecteur, c'est-à-dire le moustique aedes albopictus, qui est malheureusement bien présent en Polynésie.

Après la Réunion, le virus s'est propagé aux Antilles, où l'épidémie perdure d'ailleurs encore.


2013: le zika en polynésie

L'épidémie de zika avait commencé peu après le tournoi de beach soccer l'année dernière et, en quelques mois, elle avait touché plus de 70 000 personnes, soit pratiquement 30% de la population.

Après cette épidémie de zika l'année dernière, on pensait que cela avait été en final un bon entrainement, et on espérait tous une forte réactivité de la part des autorités locales pour faire obstacle au chikungunya lorsqu'il arriverait et on était convaincus que les services concernés allaient mettre le paquet au bon moment: c'est-à-dire après les vacances de juillet, après le passage des touristes, au moment du retour des vacanciers et de l'arrivée des nouveaux fonctionnaires (profs, gendarmes,etc...), certains venant forcément des Antilles par exemple.

Mais non, en août dernier, seulement quelques affiches jaunes à l'aéroport, en français et en tahitien, pour prévenir les francophones et les polynésiens qu'un risque chikungunya était présent sur le territoire.

Les premiers cas de chikungunya à Tahiti

Début octobre, apparaissent à Tahiti les premiers cas confirmés, à Papearii: 5 puis 10; 15; 59; 83; 107;...194 puis 287, avec même quelques cas aux Australes et aux Tuamotus (à Apataki)


On s'est alors rendu compte que les premiers cas étaient en fait déjà apparus en septembre (donc juste après la rentrée) mais qu'on les avait pris pour des cas de non-dengue, sans chercher à savoir s'il s'agissait déjà du fameux virus de l'homme courbé.



http://www.hygiene-publique.gov.pf/spip.php?article120
http://www.chikungunya.net

A noter la bonne réactivité de l'Institut Louis Malardé qui, en seulement 48h, a réussi à adapter la méthode PCR pour l'épidémie actuelle, permettant ensuite un diagnostic rapide.

Au fil des jours, le nombre de cas augmente car on est revenu en arrière et a trouvé les virus dans les premiers cas "oubliés" de septembre, on parle même de 400 à 500 cas, puis...


Le black-out médiatique

Et puis pratiquement plus rien dans les médias: aucune information. Juste des infos sur les opérations de démoustication.

Comme si tout ce qui avait précédé n'était finalement qu'un mauvais rêve...

Même le site de veille sanitaire:http://www.hygiene-publique.gov.pf/spip.php?article120
... arrête sa mise à jour au 23 octobre 2014 avec 287 cas (site normalement remis à jour le vendredi)

Comme si l'épidémie de chikungunya s'était subitement arrêtée, les moustiques ayant fini par comprendre l'importance de l'imminente grande course Hawaiki Nui Va'a dans l'économie des îles sous le vent...



Après Hawaiki Nui va'a 2014

Mais le  réveil risque d'être brutal:  car  près de 5000 personnes vont se déplacer d'île en île (Tahiti-Huahine-Raiatea-Tahaa-Bora Bora) pour cette superbe et prestigieuse course de va'a.

C'est quand même tout le contraire de ce qu'il faut faire pour enrayer une épidémie.


Dès la course terminée, la chronique exhaustive des cas de chikungunya va très certainement aussitôt reprendre, et la barre des 1000 ou même 2000 cas est surement déjà franchie actuellement sans qu'on en ait entendu parler entre temps.

Les bons vecteurs (moustiques aedes albopictus) étant présents, il semble que l'épidémie ait maintenant le champ libre: donc probablement 40% des 280 000 polynésiens, soit plus de 100 000 personnes de Polynésie, vont être atteints du chikungunya durant les douze prochains mois.

L'épidémie devrait commencer à ralentir lorsque environ 20% de la Polynésie sera touchée, soit plus de 55 000 cas. Dans quelques mois...

Prenez neuf personnes autour de vous: dans un an, en moyenne quatre personnes parmi les dix (9+1) auront eu le chikungunya, cette maladie qui vous cloue irrémédiablement au lit et vous meurtri les articulations des mois encore après avoir été contaminé.


Le chik, c'est pas chic....

L'impact risque d'être terrible: on songe au fort ralentissement du tourisme et de l'économie territoriale, déjà bien en peine ces dernières années, on pense aussi aux problèmes des très nombreux arrêts maladie qu'il faudra gérer, au gouffre déjà abyssal de la CPS, et qui encore se creuser, à l'absence prolongée des professeurs et des élèves qui auront un examen de fin d'année scolaire (bac, brevet, licence, etc...), et à celles du personnel de santé qui seront déjà en surchauffe pour réceptionner les nombreux malades. Sans parler de ceux qui ont la dengue et non le chikungunya.

Et ceux qui auront les deux...

Le bac Polynésie 2015 risque donc d'être probablement gravé dans les mémoires comme étant le bac spécial chikungunya.


Que fallait-il faire avant et que faire maintenant ?

Au tout début, et même s'il est difficile de lutter, ne pouvait-on quand même pas essayer de:

* chercher systématiquement la présence ou non du virus dans les premiers faux cas de dengue de septembre afin de prévenir l'entourage des malades ? 

* placer les produits anti-moustiques (tortillons, Off, raquettes électriques, moustiquaires, etc..) dans la liste des PPN (produits de première nécessité) dans les magasins, de façon à ce qu'ils soient bien plus abordables et que plus de polynésiens en achètent ?



* planter massivement des plantes anti-moustiques, comme le miri (basilic tahitien sauvage).

* installer dans les places publiques plein de bassins avec nénuphars et guppys, ces petits poissons faciles à élever et qui dévorent toutes les larves de moustiques ?

Rien de tout cela n'ayant été fait, on pulvérise aujourd'hui des produits chimiques efficaces sur le moment, mais très nocifs pour l'environnement (abeilles, animaux, etc...) et que l'on retrouvera sous peu dans le lagon, avec l'impact que l'on peut tous craindre.



De plus, certains affirment que les moustiques survivants peuvent ensuite développer une future insensibilité aux produits de démoustication, insensibilité qu'ils transmettront à leurs descendances.



Recette de grand-mère: un piège à moustiques


L'araignée mangeuse de moustiques

En attendant un futur vaccin anti-chikungunya ou une éventuelle campagne de stérilisation des moustiques mâles sur le fenua, on trouve en Malaisie une araignée mangeuse de moustiques, la Paracyrba wanlessi .



Parmi toutes ses proies possibles, c'est le moustique qu'elle préfère, qu'il soit adulte ou au stade larvaire.  Elle bondit sur les moustiques à la manière d'un chat.

Certains laboratoires pensent à elle pour lutter contre les maladies tropicales comme la malaria.



Une invasion d'araignées à Raiatea pour lutter contre le chikungunya ? ..

Des araignées... il fallait que ce soit des araignées ...ça ne pouvait pas être des coccinelles ou des jolis papillons colorés ?

Je me demande si je préfère pas me faire piquer par l'aedes albopictus finalement...

http://voices.nationalgeographic.com/2014/10/07/mosquitoes-insects-jumping-spiders-malaysia-animals-science-predators-prey/

http://livenews.co.nz/2014/10/13/spider-prefers-mosquitoes-for-dinner/


Et Ebola ?

Quelques cas d'Ebola ont déjà été signalés en octobre au Chili, à seulement quelques heures d'avion de Papeete.

Si les autorités sanitaires locales sont aussi pré-voyantes et efficaces pour Ebola qu'elles l'ont été pour le chikungunya, un an après le zika, alors le pire est à craindre, à quelques semaines de l'été austral.

Si Ebola arrive à Tahiti, il ne restera plus qu'à prendre un voilier et partir vivre en autonomie pendant de longs mois sur un atoll désert des Tuamotus....




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