samedi 17 janvier 2015

Le 5e élément au Collège de France

A la création du Collège de France par François 1er en 1530, l'univers était supposé être constitué de quatre éléments bien raisonnables: la terre, l'air, l'eau et le feu.

Aujourd'hui, et après la leçon inaugurale que l'astrophysicienne Françoise Combes vient de présenter au public du Collège de France le 18 décembre dernier, on sait que les physiciens pensent qu'il en a en fait cinq, bien différents: Baryons, Leptons, Photons, Wimps et Quintessence...

Les trois premiers sont assez bien connus car les baryons (les particules lourdes comme le neutron ou le proton), les leptons (particules au contraire légères comme l'électron, le neutrino,etc..) et même les photons (les particules de lumière), sont étudiés depuis des années et ont livré plusieurs de leurs secrets.

Les deux derniers éléments en revanche, Wimps (Weakly interactive massive particles) et Quintessence, représentant respectivement matière noire et énergie noire, constituent à eux deux 95% de notre univers, mais on ne sait pour ainsi dire rien sur eux. Ils sont même une des principales énigmes à résoudre de nos jours en cosmologie.


Le 5e élément en particulier, l'énergie noire (ou sombre), n'est apparu que dans les années 2000 et permet d'expliquer dans les calculs l'expansion accélérée (et constatée)  de l'univers. Mais on ne sait quasiment rien de lui, si ce n'est qu'il représente nécessairement les trois quarts du cosmos...

La matière noire et l'énergie noire sont hélas bien plus complexes qu'un simple immense nuage de gaz sombre, comme le "sac à charbon", cette nébuleuse noire visible près de la Croix du sud.

A gauche un grand nuage noir: ce n'est malheureusement qu'un nuage de bonne vieille matière baryonique, des poussières opaques qui bloquent la lumière des étoiles situées juste derrière... (Nébuleuse sombre dite "du Sac à Charbon", à côté de la Croix du Sud)

Non, la matière noire, c'est autre chose, c'est bien plus subtil, et d'ailleurs, elle n'est même pas noire...

Mais alors comment peut-on supposer voire même affirmer l'existence de ces éléments s'ils sont à ce point mystérieux, énigmatiques et insaisissables ?

A cause des anomalies....

Il y a plus de 150 ans déjà, l'astronome français Urbain Le Verrier avait brillamment utilisé les anomalies de l'orbite d'Uranus, planète découverte par hasard 60 ans plus tôt au télescope, pour découvrir la lointaine Neptune, uniquement par le calcul et les lois de la mécanique céleste (après 900 pages de calculs à la main d'ailleurs).

Cette fois-là, l'anomalie précédemment observée fut magistralement expliquée par la présence d'une masse très importante et jusque là inconnue, située bien plus loin qu'Uranus: la planète Neptune.

Ce fut un triomphe pour Le Verrier qui tenta ensuite d'expliquer de la même manière une autre anomalie qu'il venait de déceler: celle de la rotation excessive du grand axe de l'orbite elliptique de Mercure, lors de ses multiples révolutions autour du Soleil. Un écart de 43 secondes d'arc par siècle avait en effet été constaté et demeurait inexpliqué. Sauf si une autre planète, qu'il nomma Vulcain, et située entre le Soleil et Mercure, venait encore jouer les trouble-fêtes gravitationnels.

Malheureusement pour lui, on ne découvrit jamais Vulcain (qui en fait n'existe pas)  et 40 ans après sa mort, cette anomalie fut expliquée  par Albert Einstein et sa célèbre théorie de la relativité générale.

Cette fois-ci, l'explication n'est pas venue d'une importante masse mystérieuse, mais plutôt d'une grande modification des lois de la gravitation de Newton.


Et l'histoire va se répéter ...

Dans les années 30, l'astronome suisse Fritz Zwicky décèle une autre anomalie, située cette fois-ci bien plus loin, au delà du système solaire, au sein d'un amas de galaxies: la masse totale observée de toutes les étoiles de toutes ces galaxies est 100 fois plus faible qu'elle ne le devrait. Il manque beaucoup de matière.


D'autres astronomes remarqueront ensuite que dans la plupart des galaxies, les étoiles ne tournent pas à la bonne vitesse autour de leur centre galactique.

En effet, alors que le bon sens et les lois de Kepler voudraient que dans une galaxie, et sous peine d'être rapidement éjectée dans le vide inter-galactique, une étoile lointaine tourne bien moins vite qu'une étoile proche autour du centre galactique, celles-ci se permettent en réalité de tourner sensiblement à la même vitesse que les autres, comme si quelque chose les retenait, les empêchait d'aller irrémédiablement se perdre dans le vide spatial. La courbe de rotation exprimant la vitesse en fonction de sa distance au centre galactique, est, au lieu de descendre, étonnement plate, horizontale.



A l'instar d'Urbain Le Verrier à son époque, Zwicky et ses collègues, comme le néerlandais Jan Oort (celui du célèbre nuage de comètes lointaines qui porte son nom) ont supposé qu'il devait y avoir une autre matière, diffuse, invisible, présente en quantité phénoménale, un peu partout dans les galaxies, et autour d'elles. Une matière qu'on ne voyait pas mais dont on observait pourtant les effets. La matière noire (Dark Matter (DM) en anglais) était née.

Mais à l'époque, on avait d'autres chats cosmologiques à fouetter: le Big Bang, la formation des étoiles, les super-novas, les quasars, pulsars, etc... et on mit donc la matière noire de côté.

Mécanique quantique, satellites, et simulations numériques par ordinateur à la rescousse

Arrivent les années 60 puis surtout 70, 80, 90 avec les premiers satellites dédiés à l'observation du ciel profond dans les longueurs d'onde non visibles et les premiers ordinateurs auxquels on demande des simulations numériques toujours plus poussées.

Ces dernières montrent rapidement qu'avec la matière ordinaire (baryons), sans matière noire, et de par les interactions gravitationnelles, les galaxies n'auraient pas la forme qu'on leur connait.

A l'inverse, si les galaxies sont fortement chargées en matière noire comme beaucoup le pensent, leur forme est stabilisée dans le temps, et devient conforme aux observations.

Par ailleurs, dès 1975, les premières simulations numériques du Big Bang, cette fois au niveau atomique, montrent que la matière ordinaire baryonique, qui réagit trop facilement avec les photons, ne peut pas fabriquer les galaxies, sans la présence d'une autre matière complètement différente: une matière noire non baryonique dite exotique. La matière ordinaire, celle qui compose le monde visible qu'on connaît ne ferait au maximum que 5% de l'univers total.

Vint ensuite l'étude statistique de milliers de lentilles gravitationnelles, ces arcs de lumière créés par la présence d'objets massifs le long des parcours lumineux. Elle permit d'élaborer les premières cartes supposées de la matière noire de l'univers, souvent située à proximité de la matière habituelle visible. La matière noire semble organisée en filaments à l'intersection desquels figurent les galaxies et amas de galaxies.

Ci-contre en bleu: la matière noire (si elle existe vraiment) recalculée d'après les lentilles gravitationnelles.

Mais de quelle matière pourrait-donc être faite cette Dark Matter, invisible, et qui réagit si peu avec le monde visible (mêmes avec les baryons & les ondes électromagnétiques), d'où d'ailleurs son nom de Wimp ?

La période de doute et une possible vision différente du "Mond"....

Parmi une trentaine de candidats au Wimp, le neutralino, cette particule ultra légère sortie tout droit de la théorie super symétrique, semble être la particule la plus apte actuellement à remporter le titre de particule de matière noire.

Mais le neutralino n'a jamais été détecté et reste à ce jour complètement hypothétique. Peut être subira-t-il le même sort que le neutrino, autrefois également candidat, mais finalement écarté car bien trop léger ?


De plus, à l'instar du décalage de 43 secondes d'arc par siècle du périhélie de Mercure, finalement expliqué par un changement profond de la théorie de la gravitation, et non pas par une masse manquante, certains aujourd'hui proposent une alternative à l'existence de la matière noire: ils proposent de modifier à nouveau la théorie de la gravitation à grande échelle, pour les faibles accélérations, c'est la théorie Mond (Modified Newtonian Dynamics). Cette alternative avait déjà été timidement évoquée au milieu du 20e siècle, puis abandonnée car trop tabu pour l'époque.

La théorie Mond propose pour les faibles champs de remplacer la décroissance classique newtonienne 1/r^2 par une décroissance en 1/r^ 1,5, et permet, sans faire appel à la matière noire (ou très peu...) d'expliquer certaines anomalies comme l'horizontalité des courbes de rotation des étoiles dans une galaxie. Mais elle n'explique pas toutes les anomalies constatées, comme par exemple les lentilles gravitationnelles, pourtant réellement observées.

Une conclusion à la Confucius

Pour finir sa leçon inaugurale, Françoise Combes cite Confucius; Attraper un chat noir dans l'obscurité de la nuit est la chose la plus difficile qui soit. Surtout s'il n'y a pas de chat.

Telle pourrait être en effet le destin des physiciens de la matière noire aujourd'hui. On en saura de toute façon davantage à l'avenir avec la mise en service de nouveaux détecteurs de particules plus sensibles que jamais. En somme, l'infiniment petit au secours de l'infiniment grand.

Pour revoir la leçon inaugurale de Françoise Combes, cliquer ici.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Excellent article, très pédagogique et bien illustré.

Raiatea Bac a dit…

Merci.
MI